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Pourquoi je ne recommande pas le restaurant du Ritz

Le restaurant du Ritz. Crédit photo : QFAL

The Ritz Restaurant fait partie des 89 établissements sélectionnés dans le cadre de l’élection du prix QFAL – PRIX DU MEILLEUR RESTAURANT 2020 dans la catégorie “MEILLEUR RESTAURANT GASTRONOMIQUE”.

Par @YounieBenz

La première fois que j’appelle le Ritz pour réserver une table, je suis un peu confus. En quelques minutes, j’ai une réservation pour le samedi suivant. La dernière fois que j’ai appelé Sushisamba à l’Heron Tower pour y réserver une table un samedi soir, on m’a indiqué une liste d’attente de deux mois et c’est tout juste si je n’ai pas dû promettre de leur vendre ma grand-mère pour faire la vaisselle après le service. Même Le Caprice situé à quelques rues sur Arlington St. est contraint de refuser des réservations le week-end, c’est dire. Certainement un coup de chance. Une annulation juste avant mon appel, ou bien possiblement le charme irrésistible qui se dégage de ma voix profonde et suave. La renommée internationale de l’établissement nous interdit naturellement de nous interroger sur une possible baisse de fréquentation. Restons élégants.

Un lieu mythique

Inauguré en 1906, soit huit ans après son homologue parisien, le Ritz de Londres est immédiatement devenu le plus prestigieux hôtel britannique, accueillant en son sein les plus importantes personnalités du pays. Hommes politiques, écrivains, membres de la famille royale : l’établissement devient rapidement le repère de toute la British elite. En 1942, Charles de Gaulle, Winston Churchill et Dwight Eisenhower discutent ensemble depuis la suite Marie-Antoinette des évènements dramatiques que connait alors le continent – suite par ailleurs uniquement accessible depuis le restaurant de l’hôtel.

“(…) le roi Édouard VIII lui-même passait commande et se faisait livrer directement au Palais de Buckingham. Un peu le Deliveroo de l’époque, quoi.”

Le restaurant du Ritz à Londres n’est pas seulement le plus bel intérieur de Londres, c’est également le plus beau restaurant du monde” disait Binney. Alors c’est vrai que ça en jette. Le restaurant est tout en bronze. A un point tel que César Ritz lui-même ironisait sur le fait que si les fondations de l’hôtel n’étaient pas faites d’acier, tout s’effondrerait sous le poids de ces alliages précieux. Et on le croit. Le restaurant devient peu de temps après son ouverture la réference britannique en matière de cuisine gastronomique : le roi Édouard VIII lui-même passait commande et se faisait livrer directement au Palais de Buckingham. Un peu le Deliveroo de l’époque, quoi.

Un cérémonial dépassé

Le dress-code de l’établissement est strict : les hommes doivent porter veste et cravate pendant le repas. Ne tentez d’ailleurs pas de déroger à cette règle, car l’établissement a tout prévu : si vous venez sans veste ou si vous oubliez votre cravate, on vous prêtera des vêtements. Mais ne tentez pas de venir en jean ou de porter des baskets, car vous ne passerez pas le seuil de l’entrée. Ces dernières sont d’ailleurs interdites dans l’ensemble de l’établissement (y compris pour les résidents). Il va également falloir résister à l’envie d’enlever votre veste. Et si les règles de bonne manière exigent habituellement que les hommes enlèvent leur cravate pour les repas – celles-ci ne semblent pas s’appliquer au Ritz. Ici, s’excuser auprès de ses hôtes et aller se “rafraichir” aux toilettes prend véritablement tout son sens.

Il est évident que la transmission d’information nerveuse entre les terminaisons synaptiques des testicules et les papilles gustatives font de l’œnologie un concept exclusivement masculin.

Le service lui-même est dépassé. La carte des vins (ou plutôt l’encyclopédie tant la cave est fournie) sera naturellement tendue à l’hôte masculin. Une faute impardonnable alors que le Ritz a pourtant été le premier restaurant au début du XXème siècle à accueillir les jeunes femmes sans chaperon, comme l’usage sexiste l’exigeait alors. Un siècle plus tard on semble toujours y considérer que ce n’est pas aux femmes de choisir ou de goûter le vin qui accompagne le repas. Il est évident que la transmission d’information nerveuse entre les terminaisons synaptiques des testicules et les papilles gustatives font de l’œnologie un concept exclusivement masculin.

Une cuisine passable

Depuis 2017, le restaurant du Ritz est primé d’une étoile au guide Michelin. John Williams est aux commandes de la cuisine de l’établissement depuis plus de 15 ans et siège en outre à la Royal Academy of Culinary Arts.  Ce “fils de pêcheur” comme il est présenté dans toutes ses biographies a passé 18 ans au Savoy. Notez que vous pouvez repartir du restaurant avec une copie signée de son livre de recettes pour la modique somme de… 30£.

(…) la cuisson n’est pas maîtrisée, et la saveur du canard est noyée par le gout explosif de la racine sucrière.

En entrée, la truffe blanche au jaune d’œuf et à la poule des bois (50£) surprend. Le goût est beaucoup plus subtil et moins puissant que l’habituelle truffe noire et le mariage avec les polypores en ombelles est réussi. Le canard de Bresse et sa sauce à la betterave et à la lavande (96£), lui, déçoit : la cuisson n’est pas maîtrisée, et la saveur du canard est noyée par le goût explosif de la racine sucrière. Quant à la ganache noire au chocolat, noisettes et sel de mer (19£) : elle écœure à la seconde bouchée.

Canard de Bresse et sa sauce à la betterave

La restauration de luxe souffre d’une importante baisse de fréquentation imputable notamment à l’évolution des habitudes de consommation et à la difficulté qu’elle semble avoir à renouveler sa clientèle vieillissante. En d’autres termes, le restaurant du Ritz n’attire ni les enfants de sa clientèle d’origine, ni les nouveaux riches, qui préfèrent se mélanger dans des endroits plus décontractés, avec une cuisine tout aussi sophistiquée mais sans ce cérémonial dépassé. Alors que le port du costume-cravate se ringardise déjà dans le monde de l’entreprise, personne n’a envie d’en porter un pour aller diner. La cuisine n’a par ailleurs rien d’exceptionnel et laisse sans émotion. L’attention semble être davantage porté sur le décorum plus que le plaisir gustatif – et ça ne fonctionne pas.

Un commentaire

  • Bouleversant. Ca met du baume au coeur ! La prochaine fois que je visiterai Londres je ferai en sorte de passer par cette station juste pour écouter la voix d’Oswald 🙂

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